L’issue des sénatoriales du 25 mars 2018, nous autorise à ouvrir la réflexion sur les résultats qu’ils ont produits, non pas en terme de configuration partisane de la chambre haute, mais plus en rapport avec la représentativité des femmes parmi les sages du Sénat. La mandature précédente, la pionnière, avait permis à 21 femmes de sièger parmi les 100 sénateurs élus et nommés. On s’était vite lancé dans la matérialisation d’un pourcentage qui trivialement portait cette participation à 21%. Avec la nomination de 4 femmes sur les 30 qui ressortissent de la compétence du Président de la République selon les dispositions de l’article 20(1) de la Constitution du Cameroun, le nombre des femmes admises au Sénat est ainsi passé de 21 à 25. Ainsi 4 sénatrices en plus ont été admises à siéger dans la Chambre Haute du Parlement National. Les amoureux des pourcentages auront bien entendu effectué l’opération, et constaté que désromais, le Sénat camerounais sera constitué de 25% de femmes.
C’est justement cette relation avec les pourcentages qui nous intrigue. Il est vrai la participation des femmes dans un bon nombre de secteurs de la vie sociale s’est toujours mesurée en pourcentage et d’ailleurs pouvait-on avoir de meilleurs indicateurs ? La Plate forme d’Action de Beijing qui préconisait une ascension progressive des femmes dans la sphère publique avait réussi à insuffler dans les Etats, qui d’ailleurs avaient admis le mécanisme, que celles-ci puissent occuper 30% des fonctions électives dans leur giron. La course était ainsi lancée à l’atteinte des fameux 30%. Plus tard, le protocole de Maputo, lui sera plus catégorique et exigera tout simplement une société paritaire, 50% de représentation pour chacun des genres. Notre pays, le Cameroun en ratifiant ce protocole et en l’accompagnant d’autres mécanismes de reception s’obligeait ainsi à mettre sur pied la fameuse société partiaire tant souhaitée par les défenseurs des droits humains des femmes et certaines acteurs dynamiques de la société civile. Certains pays africains dont le Sénégal, pour ne pas citer le Rwanda, ont tôt fait de prendre des mesures nationales plus consistantes d’appropriation de la dynamique paritaire. Ainsi le Sénégal a fait voter par le Parlement une loi sur la parité. En mettant sur pied cet arsenal de reception dans l’ordre juridique interne des dispostions du Protocole de Maputo sur la représentativité paritaire des femmes et des hommes, ces pays cités plus haut s’éloignent ainsi de la volonté de réduire la participation politique des femmes à un simple pourcentage.
En fait, la focalisation sur les pourcentages fait écran à la volonté de faire naître de meilleurs indicateurs de la participation politique des femmes. Les indicateurs qualitatifs sont omis, ceux du renouvellement de la classe politique féminine sont méconnus. En conséquence on reste dans une logique du nombre, que dis je, du pourcentage qu’il faut atteindre pour satisfaire à des exigences soit de certains bailleurs de fonds ou simplement des instituions financières connues.
Nous voulons nous interroger et lancer le débat sur l’origine et la réelle appropriation par les femmes du combat qu’elles mènent depuis des années et qui consiste à creér et consolider une société plus juste et dans une certaine mesure égalitaire. Nous voulons aussi nous interroger sur la capacité et la volonté des « représentantes des femmes » dans les hautes sphères de l’Etat à faire naître et encourager l’émulation de leurs paires.
D’où viennent ces femmes ?
La participation politique peut se faire au travers de plusieurs modalités. Le vote, la candidature aux fonctions électives, l’appartenance à l’organe de gestion des élections, l’observation des élections, entre autres. Mais, ce que nous voulons mettre en avant et qui constitue l’objet de cette reflexion est la participation des femmes en tant que candidate. C’est justement cette modalité qui leur permet d’acceder aux fonctions électives, comme ce fut le cas il y’a peu pour nos 25 sénatrices.
Au-delà donc de la question du pourcentage, nous voulons nous demannder d’où viennent les femmes qui réussissent à se forger une position de pouvoir dans le monde parfois machiste des fonctions électives.
D’une part, pour déterminer l’origine des femmes qui réussissent à sortir de l’anonymat, il faut interroger les méthodes ou moyens qui leur permettent d’être des candidates. En effet, pour être candidate, les femmes (autant que les hommes) doivent être investies par des partis politiques, qui comme l’indique les dispositions constitutionnelles concourent à l’expression du suffrage. L’investiture par les partis politiques obeit alors à une reglémentation propre à chaque parti politique. Les mécanismes sont pourtant nombreux et peuvent s’analyser en : élections (primaires), dispositions statutaires, cooptation. Chacun de ces mécanismes pouvant être constitué de points faibles et points forts, il n’en demeure pas moins vrai que le procédé le plus en vue dans la sélection des candidatures pour des positions électives dans de nombreux partis politiques reste la cooptation.
La cooptation en elle-même renferme les germes de la discrimination. Si elle est le procédé le plus usé par les partis politiques dans le choix des candidatures, c’est justement parce qu’elle permet de prendre moins de risque et donc d’éviter les surprises qui pourraient survenir d’une élection. La cooptation est le terrain du parachutage. C’est l’aire de jeu des personnes disposant d’appuis tous azimuts. La personne qui est cooptée est parfois, même si pas toujours, en total déphasage avec la réalité du terrain, avec les futurs intérêts à défendre, les exigences de l’électorat. Elle est un objet politique au service des réseaux qui l’emprisonnent, la tiennent et parfois lui indiquent l’attitude la mieux indiquée, qui cadre avec les désidératas non pas du parti ou des militants, mais de ces réseaux là.
De cette situation transparait le fait que les femmes qui sont portées au devant de la scène politique, à des fonctions électives, ne le sont pas toujours du fait de leur background, de leur expérience, ou de leur compréhension véritable des enjeux de la fonction, en parfaite harmonie avec celle-ci. Les femmes qui sont présentées à la face de leurs congénères comme étant les principales leaders, choisies parmi leurs paires sont en fait des replicantes de leurs filiations ou de leurs proximités avec les leaders masculins. La représentation des femmes s’assimille ainsi à la reproduction de ce qui fait pignon sur rue parmi le genre masculin. Les femmes leaders sont ainsi recrutées parmi les épouses, les filles, les nièces des directeurs d’entreprises publiques ; les épouses de députés sont conseillers municipaux (deviennent maires par la suite), les filles de ministres sont députés. Il est vrai, rien ne les empêche d’aspirer à des fonctions non éloignées ou plutôt très proches de celles de leurs mentors. Nous refusons ainsi de nous inscrire dans le délit de patronyme. En fait, très peu de femmes parties de la base ont, du fait de la cooptation, de chance d’aspirer à une quelconque ascension sociale. La représentation des femmes semble ainsi être élitiste et faire très peu de cas de la situation des femmes ne disposant pas véritablement de soutien. Le plus important parfois c’est de se limiter à la réalisation d’un objectif chiffré, du pourcentage, alors même que le souci de se doter de représentantes de qualité semble être relégué au second plan. Les femmes continuent par ce mécanisme d’être uniquement des objets politiques et leur participation ne s’incrit ainsi que dans la volonté de réalisation des conditionnalités. Cet état de chose est simplement de nature à faire naître le découragement chez les autres femmes, dont l’engagement politique est certain et le dynamisme à toutes épreuves. Il est aussi créateur, devant les relatifs résulats produits par les pionnières, d’arguments pour une diatribe soutenue sur la capacité des femmes à occuper des positions de pouvoir.
Cependant d’autres catégories de femmes leaders existent, mais leurs origines consacrent de plus belle l’argument élitiste de la représentativité des femmes.
Elles viennent aussi de la société civile, et ont longtemps milité pour la prise en compte du Genre dans les pans divers de la vie, mais aussi pour le respect des droits humains des femmes dont la considération se trouvait parfois être le parent pauvre des droits les plus fondamentaux de la personne humaine. Elles ont un bagage solide de connaissances, ont parfois fait des études dans les institutions les plus prestigieuses. Elles ont de la prestance, de la consistance et peuvent tenir des débats fournis par une argumentation nourrie d’un soubassement théorique et idéologique adéquat. Généralement, leur entrée en politique n’est que la suite logique des différents combats menés en amont. Après la dénonciation, elles gravissent un échelon en se rangeant dans le champ des forces de propositions et d’exécution. Leurs activités, lorsqu’elles sont portées à des positions de pouvoirs et surtout celles électives, se font naturellement remarquer. Elles sont le plus souvent à l’origine de nombreuses réformes et leur considération pour la reconnaissance des droits de femmes ne désemplit pas.
Certaines sont de brillantes femmes d’affaires qui ont flirté avec les milieux de production de la richesse les plus importants, participé à des fora, ateliers et conférences avec leurs pairs. Elles ont de ce fait acquis une surface de connaissances suffisantes, qui leur a facilité le déploiement dans le champ politique.
Elles sont des intellectuelles accomplies, fruit de longues années d’études solides. Certaines ne se lassent pas de dispenser la connaissance dans les institutions nationales et internationales. Elles sont l’exemple même de la victoire sur les stéréotypes négatifs qui circonscrivent l’activité des femmes à la sphère privée.
Dans leurs différents combats cependant, les femmes semblent faire peu de cas du passage de témoin, exigence pourtant de la perpétuation de la lutte et même de la victoire sur les attitudes anachroniques les plus ancrées.
La nécessité de susciter des vocations
Comme relevé plus haut, les femmes occupant des positions de pouvoir ressortissent en général d’une certaine catégorie sociale. Il faut aussi mentionner que celles qui aspirent aux positions de pouvoirs depuis le retour au multipartisme sont toujours les mêmes. Contrairement à ce qui se passe parmi la gent masculie, chez les femmes il y’a très peu de place pour le renouvellement de la classe politique.
Sur le terrain la plupart des initiatives tant de la société civile que des partis politiques visent à recruter un nombre conséquent de femmes en appellant à l’inscription sur les listes électorales ou encore dans certaines mesures à la candidature. Personne ne pense à la relève, à ces femmes, n’ayant pas encore atteint la majorité électorale, qui doivent pourtant dès leurs jeunes âges déjà être en mesure d’apprécier les enjeux de la participation politique, afin de susciter des vocations. Les jeunes il est vrai manifestent une véritable empathie de la chose électorale. Les jeunes femmes encore plus. Il est concevable qu’à un certain âge les projections soient plus portées vers la résolution de l’équation d’affirmation de soi par la formation adéquate, la quête d’un emploi décent, plus loin le chantier de construction d’une famille. Très peu de jeunes femmes ont à l’esprit la perception que les enjeux politiques structurent et définissent les ambitions personnelles qu’elles se font. La faute certainement à l’ancrage des stéréotypes persistants et faisant de la sphère privée l’aire de déploiement par exemple des femmes. Mais pas seulement. De nombreux obstacles viennent constituer des freins à la participation politique des jeunes femmes. Au-delà du chômage et du sous-emploi élevés qui sont la conséquence de leur grande précarité, les velléités de migrations, la carence ou de l’absence de procédés d’éducation civique et électorale adéquats qui pourrait justifier le manque d’information érigé en obstacles majeurs, il y’a le déficit criard de culture politique, démocratique.
Le même déficit est notable chez les femmes rurales ou dans les classes les moins élitistes. Les femmes de l’informel, qui se retrouvent dans des activités connues comme étant du « système D », continuent de faire partie du « bétail électoral ». Ce sont ces femmes vers qui on se porte vers la fin des mandats pour se rappeler à leur bon souvenir. Ces sont ces femmes qui sont juste des militantes et à qui il n’est que difficilement offert la possibilité d’espérer accéder un jour à des positions prestigieuses au sein du parti, avec pour corollaire la faculté au vu de cette position de pouvoir aspirer à des fonctions électives ou des positions de pouvoir.
Les pourcentages lorsqu’ils sont établis pour constituer des motifs de satisfaction, ne tiennent justement pas compte du réel impact que devrait avoir sur la société et sur la condition de la femme, le fait que ces dernières soient fortement représentées dans les instances du pouvoir. Ces présences ont-elles suscitées des vocations, ont-elles menées à l’ascension sociale ? Il est rare de l’affirmer, simplement parce qu’il y’a très peu de renouvellement des actrices depuis le retour au multipartisme pour mener le combat de la reconnaissance des droits humains des femmes, de la participation politique des femmes et de l’autonomisation de ces dernières. Il est rarement fait place à la préparation de la relève, à la diversification du modèle des actrices.
Il est désormais temps pour les femmes leaders d’assurer la pérennité de leurs luttes, de leurs victoires, en mettant sur pied des mécanismes de transmission du flambeau. Ceci ne peut être rendu possible que par l’implication des couches de populations les plus jeunes, les plus démunies, bref de la grande majorité.
R.H. PUEPI
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