
Elles sont plus de 4 500 000, les femmes du secteur informel du Cameroun qui réclament un fonds de garantie pour soutenir leurs projets économiques. Plus de 1 500 femmes à la date de la publication de cet article sur notre site web ont signé une pétition. Les Etablissements de Micro-Finances se montrent désormais prêtes à soutenir cette initiative. L’engagement des pouvoirs publics reste encore attendu à cet effet.
L’envers du décor et les chiffres qui parlent
Le secteur informel emploie environ 90% de la population active ; soit plus de 8 100 000 personnes (EESI et RGPH – 2005). Ce secteur, qui contribue à hauteur de 29% à la richesse nationale (EESI-2005) est tenu majoritairement par les femmes, lesquelles représentent 55% des actifs, soit environ 4 455 000 personnes.
Elles disposent des revenus les plus bas avec une moyenne de 27 000 FCFA / mois pour l’informel non agricole et 11 000 FCFA / mois pour l’informel agricole (EESI-2005). Elles bénéficient en outre de très peu de soutien à leurs activités, de la part des instruments de l’économie formelle.
Les fondements juridiques et socio- culturelles du phénomène
Les dispositions discriminatoires du code civil reprises par l’ordonnance de 1981 régissant l’état civil au Cameroun et l’acte uniforme portant Droit Commercial Général, font en sorte que la mobilisation des sûretés demeure une contrainte majeure pour les femmes entrepreneures dont 61% sont mariées (Rapport BIT-2009). En effet, en l’état actuel du droit civil camerounais, l’épouse ne dispose pas du même pouvoir que l’époux pour constituer une hypothèque sur le patrimoine familial. Elle a besoin de l’autorisation de son mari pour le faire. D’un autre côté, la division sexuelle du travail et l’organisation des rapports sociaux de sexe restent défavorables à la femme, consacrant une perception infantilisante et un refus inconscient de son rôle d’agent économique. La femme n’est donc pas culturellement perçue comme un agent économique au même titre que l’homme. Ce qui en rajoute aux difficultés à obtenir des soutiens financiers auprès des établissements bancaires et des EMF (Etablissements de Micro Finance).
Les institutions financières n’ont pas d’intérêt pour le secteur informel
– Les Etablissements de Micro Finance consacrent 80% de leurs financements aux établissements du secteur formel et moins de 10% pour le financement des TPE (Très Petites Entreprises) encore connues sous le label d’Activités Génératrices de Revenus des femmes (Horizons Femmes/FOCAP, 2010)
– Aucune banque classique ne dispose de guichets pour le financement spécifique des activités génératrices de revenus du secteur informel, qui pourtant occupe 90% de l’effectif des travailleurs camerounais, et en moyenne 6 femmes sur 10 en activité (EESI-2005).
L’appel qui vient de Horizons Femmes
Pour toutes ces raisons, l’association Horizons Femmes a initié depuis l’année 2010, un « Projet de plaidoyer pour la mise en place au Cameroun d’un fonds de garantie en vue de faciliter l’accès au crédit des femmes du secteur informel ». Ce projet découle donc d’une situation socio-juridique globalement défavorable à la femme, lui déniant l’exercice de ses droits patrimoniaux. De ce fait, les femmes peinent à financer leurs activités économiques alors que plusieurs banques et autres institutions de crédit sont en surliquidité permanente. Par conséquent, malgré leurs contributions incontestables et palpables à la constitution de la richesse nationale et partant à la réduction de la pauvreté dans les familles, elles continuent à avoir les plus bas revenus. La permanence de cette situation est d’autant plus paradoxale qu’un accroissement de leurs revenus aurait des effets positifs induits sur la situation de leurs familles et permettrait de donner un contenu concret à la politique de lutte contre la pauvreté du gouvernement camerounais, telle que contenue dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE, 2009).
Ce projet qui a fort heureusement déjà retenu l’attention de quelques partenaires au développement a permis de déployer une batterie d’activités : 1/- l’étude sur l’état du sous financement de l’entrepreneuriat féminin du secteur informel au Cameroun qui du reste a confirmé les constats empiriques et les déterminants stratégiques de la mise sur pied d’un fonds de garantie ; 2/- la formation des promotrices des TPE (Très Petites Entreprises) du secteur informel sur le droit des sûretés et les fondements des garanties bancaires ; 3/- la mobilisation de la cible (les entrepreneures informelles) autour des questions objets de l’initiative à travers la collecte de 1 200 signatures en vue d’une pétition à la haute attention des pouvoirs publics ; 4/- le déploiement d’une stratégie d’influence qui emporte des actions de lobbying auprès des décideurs.
Rendues à la phase finale, la mise en œuvre de l’ensemble de ces activités a permis de tirer des leçons dont quelques unes parmi les plus saillantes peuvent être rappelées :
1/- la famille, les tontines, les amis, les économies personnelles et les aides diverses constituent les principales sources de financement (70%) des TPE des femmes du secteur informel; 2/- les Etablissements de Micro Finance consacrent 80% de leurs financements aux entreprises du secteur formel et moins de 10% pour les activités entrepreneuriales des femmes du secteur informel. Parallèlement, moins de 10% des promotrices des TPE ont déjà bénéficié d’un crédit auprès des EMF; 3/- du côté des banques classiques, la situation est plus ténue, puisque moins de 1% des promotrices des TPE ont déjà bénéficié d’un crédit bancaire auprès d’une banque classique.
Le manque de garantie comme obstacle principal à l’accès au crédit
Les raisons relevées par les EMF pour expliquer leur refus d’octroyer des crédits aux promotrices des TPE tiennent avant tout de l’incapacité des femmes à produire les garanties exigées, correspondant à plus de 60% des arguments énoncés.
La solution de la mise sur pied d’un fond de garantie pour soutenir les activités entrepreneuriales des femmes a du coup été très favorablement accueillie, et même plébiscité autant par les femmes que par les EMF.
La nécessité de la mise sur pied d’un fonds de garantie
Pour bien comprendre l’importance stratégique de la mise sur pied d’un fonds de garantie de soutien des femmes entrepreneures, il convient de dire qu’un fonds de garantie est une institution qui apporte son cautionnement dans un prêt de création ou d’agrandissement d’une entreprise et permet de couvrir les échéances de remboursement auprès de la banque. Le fonds de garantie sécurise les engagements du prêteur vis-à-vis de l’emprunteur sans garantie. En outre, il sécurise le garant en lui offrant la possibilité d’une action contre l’emprunteur. Il donne lieu au paiement par ce dernier d’une commission de caution en faveur du garant. Le fonds de garantie peut être développé par les organismes professionnels ou peut être à vocation sociale c’est-à-dire destiné aux groupes défavorisés, à l’instar des promotrices économiques du secteur informel. Dans ce cas, il devrait préférentiellement être initié et soutenue par les pouvoirs publics. Aussi, il permet de contourner les blocages socioculturels, juridiques et économiques à la constitution des garanties bancaires par certaines couches vulnérables et marginalisées. Il permet aussi à terme de réaliser la professionnalisation des secteurs d’activités informelles ; tout comme il conforte l’Etat dans son rôle de principal acteur du développement etc.
Le fonds de garantie est une initiative qui a été appliqué avec succès dans plusieurs régions du tiers monde sous de formes diverses et variées en fonction du contexte sociopolitique et économique. Le Cameroun peut tirer profit de ces précédents et des leçons apprises du présent projet de Horizons Femmes, qui a heureusement déjà bénéficié de l’appui du PASOC (Programme d’Appui à la Structuration de la Société Civile) pour l’actuelle phase pilote.
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